Quand je pose cette question autour de moi, je constate que
personne ne connait jamais la réponse, qui est pourtant simple : Pour
chacun de nous, c’est la date d’aujourd’hui plus la différence entre
notre âge et celui de nos enfants. Une fois le calcul fait, quatre
attitudes apparaissent : il y a ceux, nombreux, pour qui la question n’a
pas beaucoup d’intérêt ; ceux, nombreux aussi, qui se demandent s’ils
seront encore en vie à cette date. Ceux, plus rares, qui pensent à ce
que seront devenus leurs enfants. Et ceux, infiniment plus rares encore,
qui se demandent dans quel monde ceux-ci vivront alors.
Dans le lointain passé et dans la plupart des civilisations, les
humains ne pensaient, pour l’essentiel, qu’à leur survie immédiate. Et
la question de l’avenir ne se posait que pour ceux qui avaient les
moyens de se préoccuper de la pérennité d’une famille, ou d’une lignée ;
ceux-là pensaient d’abord à assurer la pérennité de leur nom, en
écartant les filles et les cadets, pour fournir à l’ainé les moyens de
préserver l’intégrité d’un domaine. A partir du 13ème siècle en
Flandres, puis en Italie, puis en Grande Bretagne, en France et
ailleurs, cette obsession de la pérennité du nom a atteint la nouvelle
classe dirigeante, la bourgeoisie.
Aujourd’hui, presque toutes les familles du monde font tout pour assurer
le meilleur destin possible à leurs enfants, à tous leurs enfants ; et
ils enragent quand ils constatent qu’ils ont moins de chance que
d’autres d’y parvenir.
Une infime minorité, parmi les plus riches pour la plupart, ne se
préoccupent pas de leurs enfants, même s’ils prétendent s’en occuper.
Ainsi, préfèrent-ils passer l’essentiel de leur temps à autre chose qu’à
leur éducation, en pensant qu’un peu, ou beaucoup d’argent de poche, ou
d’héritage, suffira à prendre soin de leur destin. En réalité, ce
n’est pas le cas, et une étude américaine récente montrait que 70% des
plus riches Américains voient leur fortune baisser sensiblement à la
deuxième génération et disparaitre à la troisième, parce que les enfants
n’ont pas été préparés à se prendre en main, à « devenir-soi ».
Encore moins de gens se pose une autre question, plus importante encore :
Que sera devenue la planète en cette année-là ? Et moins encore en
tire une conclusion essentielle : suis-je responsable du monde dans
lequel vivront mes enfants quand ils auront l’âge que j’ai aujourd’hui ?
Cette question devrait pourtant constituer l’obsession de tous. Et
d’abord des dirigeants politiques, métaphoriquement parents de tous les
enfants de leurs concitoyens ; ils ne devraient ne penser qu’à une seule
chose : en quoi leurs actes amélioreront ils le monde dans lequel
vivront les générations suivantes ?
Et comme la politique n’est qu’une dimension de plus en plus dérisoire
du destin des peuples, et plus encore de l’humanité, c’est à chacun de
nous de prendre cette question très au sérieux et d’en faire le
principal guide de nos actions.
On relativiserait alors bien des combats. On mettrait en avant bien
d’autres priorités que celles qui ont, encore récemment, occupé les
tréteaux et les médias. On ferait tout pour ne pas être maudit par ceux
qui auront à souffrir de notre impéritie, de notre égoïsme, de notre
superbe.
On se rendrait compte que la seule question qui vaille est de trouver
comment faire ce qu’il faut pour accomplir le meilleur de notre vie
tout en permettant aux générations suivantes de vivre mieux encore.